" Femme Nue, Femme Noire "
- Taleenah
- 18 juin 2020
- 4 min de lecture

« «Femme nue, femme noire, vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté…» Ces vers ne font pas partie de mon arsenal linguistique.
Vous verrez : mes mots à moi tressautent et cliquettent comme des chaînes. Des mots qui détonnent, déglinguent, dévissent, culbutent, dissèquent, torturent ! Des mots qui fessent, giflent, cassent et broient ! Que celui qui se sent mal à l’aise passe sa route… Parce que, ici, il n’y aura pas de soutien-gorge en dentelle, de bas résille, de petites culottes en soie à prix excessif, de parfums de roses ou de gardénias, et encore moins ces approches rituelles de la femme fatale, empruntées aux films ou à la télévision […] Je m’appelle Irène. Irène Fofo. »
Voilà comment débute le livre de Calixthe BEYALA, un classique de la littérature camerounaise. Le titre et la première phrase sont tirés d’un texte intitulé « Femme noire » extrait de « Chants d’ombres », un recueil de poèmes de Léopold Sédar Senghor, très grand poète, écrivain et homme politique sénégalais.
Je vous le dis, vous auriez tort de ne pas prendre au sérieux cette petite mise en garde avant de commencer la lecture, car plaisirs bestiaux, orgies sous couvert de rituels de « guérison », et scènes pornographiques, des fois, à la limite du supportable, s’enchaînent au fil des pages.
Je ne sais moi-même pas trop quoi penser de ce roman qui serait apparemment une fable où il y aurait un sens apparent et un sens caché. En ce qui me concerne, je ne les ai pas trouvé ou alors pas compris. C’est une fable donc assez violente, et provocatrice, allant de débauche en dépravation avec des personnages qui semblent partagés entre révolte et résignation.
Le personnage principal, Irène, adolescente de 16 ans, a déjà vécu toute une vie malgré son très jeune âge. C’est une voleuse. En fait, ses grandes passions dans la vie sont le vol et le sexe. Elle le dit elle-même : « D’ailleurs, en dehors du sexe, je ne connais rien d’autre qui me procure autant de plaisir. » A elle seule, elle cumule presque tous les défauts de la Terre : insolente, impulsive voire volcanique, méchante, manipulatrice, désabusée, désenchantée, impolie, dépravée, sans limite, sans filtre, mais, à mon avis, en réalité, elle est juste complètement paumée et sans repère.
Son ultime crime sera de voler un sac, où elle y découvrira un bébé mort. A partir de cet instant, sa vie bascule. Elle fait au même moment la rencontre d’un couple qui l’a croit folle, et qui va alors l’entraîner dans une spirale de débauche et dépravation.
Elle va d’abord devenir, en quelque sorte, leur joujou sexuel, puis une guérisseuse par le sexe, malgré elle.
« « - D’après toi, pourquoi tous ces hommes, hein ? Ne me dis pas que t’es naïve au point d’ignorer que baiser une folle est un puissant remède contre les maux de la terre ? Tu as le pouvoir de guérir les hommes avec ton sexe, l’ignorais-tu ? Quelle chance ! Ils sont prêts à tout t’offrir à condition que … » […] Je ne lui dis pas ce que je suis vraiment. Je l’ignore encore moi-même. Je suis quelque chose de nouveau. Quelque chose de dépravé, de dissolu, sans scrupules, qui dévore la vie d’où qu’elle vienne ! »
Puis, elle se laisse prendre au jeu, et y prend goût. Elle aime cette sorte de pouvoir surnaturel qu’on lui incombe mais qu’elle sait complètement faux, toutefois, comme elle y trouve son intérêt, elle joue son rôle à la perfection et se laisse aller à délirer.
« Je suis une déesse capable de faire ce qu’a fait le Christ, mais en plus jouissif : guérir avec mon sexe ! Dorénavant, je serai la Nivaquine contre le paludisme ! l’aspirine contre les maux de tête ! les vaccins contre l’épilepsie ! les antiviraux contre le sida ! Dans la dépravation, je ferai disparaître la paresse ! la lèpre ! le goitre ! le mensonge ! la jalousie ! la haine ! Je suis le remède contre la régression sociale des individus et des sociétés. »
Et, plus loin, lors d’une « séance », elle se sent pousser des ailes face à ses "clients" : « J’ordonne et je suis la déesse des Eaux, le génie de la Fécondité, du Sol et des Savanes. Je suis celle dont les désirs épouvantent le malheur et le font s’embourber dans les marécages. Je suis une caverne miraculeuse qui donne sens aux sept merveilles du monde. »
Mais, malgré tout cela, on sent, tout de même, par moment, qu’Irène rêverait d’autre chose, d’une autre vie, et aurait d’autres ambitions, mais c’est comme si elle s’interdisait d’en avoir.
« Au fond, j’aurai voulu être quelqu’un de bien. J’aurais voulu ressembler à ces jeunes filles obéissantes que tout le monde respecte. Mais moi, à seize ans, j’avais déjà épuisé mon stock de sympathie, de cordialité et de bienveillance. Je l’avais bradé, sans trop savoir pourquoi, dans un monde maladivement oppressant. Je l’avais soldé dans un univers où beaucoup de choses n’ont pas été nommées par le Bon Dieu. Je n’ai même plus conscience, d’ailleurs qu’est-ce que c’est ? »
Pour finir, je dirai juste que la couverture du livre ainsi que le résumé au dos, ne m’ont pas préparé à ce que j’ai réellement trouvé dans ce bouquin. Je ne dirai pas que j’ai été déçue par cet ouvrage, mais plutôt qu'il m’a laissé terriblement perplexe, et avec un grand questionnement quant au sens profond de cette histoire.
Bonne lecture !
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